Le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse suspend six arrêtés de la préfète de l’Ariège autorisant l’effarouchement de l’ours sur certaines estives des Pyrénées ariégeoises.
Sollicitée par les groupements pastoraux de Taus-Espugues, d’Arreau, de Coumebière, de Sentenac d’Oust, de l’Izard et d’Ourdouas, dont les troupeaux avaient subi des prédations imputables à l’ours lors de leurs précédentes campagnes d’estives, la préfète de l’Ariège les a autorisés, par six arrêtés pris entre le 23 juin et le 7 juillet 2022, à procéder à des mesures d’effarouchement simple et d’effarouchement renforcé par tirs non létaux de l’ours brun, pour prévenir les dommages aux troupeaux durant la saison d’estives 2022.
L’ours brun constitue une espèce « en danger critique d’extinction », son effectif actuellement présent dans les Pyrénées françaises demeurant en-deçà de l’effectif critique qui permettrait d’assurer la viabilité de l’espèce. Il bénéficie à ce titre, en vertu de différents textes européens et nationaux, d’une protection particulière. Présent dans un vaste territoire, notamment dans les zones supra-forestières du massif pyrénéen, l’ours côtoie les troupeaux d’ovins en estives. Bien qu’omnivore à 80%, l’ours se livre néanmoins à des actes de prédation sur ces troupeaux.
C’est dans ce contexte que sont intervenus les arrêtés de la préfète de l’Ariège, les mesures d’effarouchement qu’ils autorisent sous conditions pouvant avoir lieu lorsque les moyens de protection des troupeaux déjà mis en place s’avèrent insuffisants.
Aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, le juge des référés peut suspendre l’exécution d’une décision administrative lorsque l’urgence le justifie et qu’il existe un doute sérieux sur sa légalité. Saisi par l’association One Voice sur ce fondement, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse suspend ces arrêtés.
Pour retenir que la condition d’urgence est satisfaite, le juge des référés estime notamment qu’en l’état des éléments dont il dispose, il ne peut être totalement exclu que la mise en œuvre des mesures d’effarouchement puissent avoir pour conséquence de repousser l’ours en dehors des territoires qu’il fréquente habituellement et donc de l’évincer d’une partie de son aire de répartition naturelle. Il considère également que ne peut être davantage totalement exclu le risque que la mise en œuvre de mesures d’effarouchement puisse être à l’origine d’effets délétères sur la population d’ours, en particulier les femelles gestantes (huit présentes sur les estives ariégeoises pendant l’été 2020), en rappelant que l’effectif de la population d’ursidés était encore très en-deçà de l’effectif de nature à permettre d’éviter l’extinction de la race.
S’agissant de l’existence d’un doute sérieux sur la légalité des arrêtés, le juge des référés note, au vu des éléments communiqués par les parties, que cinq des six groupements pastoraux n’ont pas mis en place le tryptique des moyens de protection des troupeaux (présence humaine, parcs de regroupement fermés et chiens de protection), pourtant régulièrement recommandé tant par le conseil national pour la protection de la nature dans un avis du 15 mars 2022 que par le conseil général de l’environnement et du développement durable et le conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux dans un rapport commun de septembre 2018. Le juge des référés retient également que la condition requise pour l’indemnisation des pertes d’ovins prédatés par l’arrêté du 28 novembre 2019 relatif à l’opération de protection de l’environnement dans les espaces ruraux portant sur la protection des troupeaux contre la prédation pris en application de l’article D. 114-11 du code rural et de la pêche maritime, tenant à deux des cinq options de protection mentionnées dans cet arrêté, lorsqu’elle est satisfaite, ne suffit pas à établir la mise en place effective et proportionnée des moyens de protection du troupeau prévue à l’article 2 de l’arrêté interministériel du 20 juin 2022 applicable.
Analysant les moyens de protection mis en place par chaque groupement pastoral, tels que décrits dans les éléments communiqués, le juge des référés souligne la forte disparité en particulier en ce qui concerne le nombre de chiens et de bergers ramené à l’importance des troupeaux à surveiller. Le juge des référés note également que, s’agissant du seul groupement où, selon les termes de l’arrêté préfectoral le concernant, les trois éléments du tryptique de protection considérés comme indispensables sont mentionnés, les fiches des constatations de prédation établies sur ce groupement montrent que ces trois éléments de protection ne sont pas systématiquement effectifs.
Le juge des référés déduit de ces éléments que la condition d’une mise en oeuvre effective et proportionnée de moyens de protection des troupeaux posée par l’article 2 de l’arrêté interministériel du 20 juin 2022 de même que par le 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, qui n’autorise à déroger à l’interdiction de perturbation intentionnelle d’une espèce protégée que lorsqu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, n’étant pas remplie, il existe un doute sérieux sur la légalité des arrêtés préfectoraux.
Le juge des référés constate en outre, au vu d’un tableau de synthèse établi par les services de la préfecture, que le nombre de brebis prédatées, même en prenant en compte les cas où la responsabilité de l’ours n’est pas certaine mais ne peut néanmoins être écartée, ne constitue pas, en le rapportant à celui de l’effectif total des brebis en estives (soit un taux de 2,35 % à 3,37 %), un dommage important à l’élevage tel que prévu au b) du 4° du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement. Le juge des référés conclut qu’il s’agit là d’un second moyen de nature à faire naître un doute sur la légalité des arrêtés.
Le tribunal administratif de Toulouse, saisi des recours au fond tendant à l’annulation des six arrêtés de la préfète de l’Ariège formés par l’association One Voice, se prononcera sur leur légalité.
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